Gérard & les Ummates - première partie - chapitre 2
II
Pris d’une violente et subite
chiasse cosmique, je me trouvais maintenant confortablement installé sur la
cuvette des toilettes avec la feuille A4 rivée aux mains.
Pendant que mon intestin se
délestait enfin du caca que tout un chacun est obligé de transporter dans son
ventre et de gérer au mieux selon les situations, je tentais de comprendre le
propos de mon mystérieux correspondant.
La lettre se poursuivait de la
manière suivante :
… Mais ce
que nous vous disons est la stricte vérité. Nous venons d’une planète située à
15,7 millions d’années-lumière de votre astre froid.
Vous n’êtes pas la première personne avec qui nous
entrons en contact et beaucoup considèrent nos lettres comme l’œuvre d’un
plaisantin.
L’essentiel de nos courriers a concerné des hommes
de science. Nous voulons aujourd’hui entrer en contact avec une personne
humaine moins développée intellectuellement que nos précédents correspondants.
Je me sentais humilié d’autant
plus que le rouleau de papier toilette touchait à sa fin.
Sophie et moi utilisions tous deux
du papier toilette mais elle refusait d’en acheter considérant dégradant de
traverser la ville avec un gros sac de rouleaux roses ou blancs et bon-marchés
qui soulignaient devant tous les citoyens qu’elle était elle aussi amenée à
aller aux toilettes.
Je n’avais pas ce genre de
préciosité mais oubliais systématiquement d’en acheter ce qui fait que ces
ruptures n’étaient pas rares.
Nous vous observons depuis longtemps et vous avons
même déjà parlé à plusieurs reprises.
Seulement, comme la majorité des personnes de
cette planète vous êtes persuadé que les entités des autres galaxies n'existent
pas ou bien alors que nous sommes de gros reptiles gluants donc vous ne nous
avez pas prêté plus d’attention qu’à une autre personne.
Nous avons atterri la première fois sur votre
planète le 28 mars 1956, à La Javie dans le sud de la France.
Depuis cette époque de nombreux scientifiques
d’UMMA –c’est le nom de notre astre chaud, viennent effectuer des recherches
sur le vôtre.
Notre présence affole vos gouvernements
paranoïaques ainsi que leurs services secrets. Il est encore trop tôt pour ce
que vous appelez une rencontre du troisième type, cependant la structure
mentale des hommes et des femmes de votre région semble bientôt prête à
accepter seulement l’idée que d’autres civilisations existent dans l’Univers.
C’est ce que nous voulons mesurer avec vous. Nous
vous recommandons la plus extrême discrétion.
La paix soit avec vous.
J’oubliais un instant ce curieux
parchemin transidéral car j’étais occupé à rejoindre la douche à quatre pattes
afin de m’y laver le rectum. Cette tâche effectuée avec minutie et à nouveau
muni de la lettre j’entrepris de l’examiner une nouvelle fois sur le canapé.
Tout d’abord, le cachet de la
Poste indiquait qu’elle avait été postée à deux pas d’ici, rue de Grenelle.
Ensuite, la feuille de papier était assez banale et semblait avoir été achetée
dans une quelconque grande surface de quartier.
Il n’y avait pas de signature
manuscrite ni d’ailleurs de nom apposé à la fin de ces quelques lignes. La
police de caractère était assez étrange et plaidait à elle seule beaucoup plus
pour un rigolo givré qu’un être métagalactique.
En parcourant de nouveau les
trois paragraphes, je trouvais que la lettre était plutôt mal construite.
Elle disait des choses
incroyables mais elle ne fournissait pas de preuves suffisamment troublantes
pour que j’y attache trop d’importance.
J’avais déjà écouté des illuminés
à propos d’invasion extraterrestre et je les avais toujours trouvés touchants
mais fêlés. J’avais même dans mon entourage un ami qui se passionnait pour tous
ces phénomènes : Manuel.
Manuel était un ancien chanteur
de revues qui s’était improvisé rédacteur en chef du magazine de propagande de
la mairie de la ville de Saint-Côme d’Olt, dans l’Aveyron.
Manuel vivait là-bas dans une
maison minuscule qui descend vers le camping du village. Son balcon plongeait
sur les douches du camping, ce qui le réjouissait l’été venu : il avait
établi le caryotype du nu des dormeurs sous tentes, des nantis de la caravane
et surtout des parvenus du camping-car. Il était intarissable à ce sujet.
Personnage sans formation définie
mais doué d’une intelligence charismatique, il s’était toujours sorti des
situations les plus délicates avec talent. Cela faisait une dizaine d’années
qu’il abreuvait son entourage de discours renseignés sur le problème des
O.V.N.I. et des extraterrestres. Il faisait même figure d’autorité underground
en France sur le sujet.
Il refusait d’apparaître sur les
plateaux de télévision car il donnait du crédit aux thèses les plus folles de
complot mondial anti-martien. Il avait même réussi à me communiquer à plusieurs
reprises son délire permanent et obsessionnel de paranoïa aiguë.
Il était persuadé que les chefs
d’Etat du Monde Entier faisaient de la désinformation autour de ces phénomènes
pour maintenir les citoyens dans l’ignorance et préserver par là un équilibre
social précaire.
Selon lui, maintenir en place
l’idée que l’homme moderne représente ce qu’il y a de plus abouti en matière
d’intelligence par-delà tous les systèmes solaires revenait à flatter l’ego de
chacun afin que tous tolèrent les incohérences manifestes de nos organisations
politiques, religieuses, sociales et financières.
Lorsque j’ai lu la lettre pour la
première fois, l’idée que Manuel puisse en être l’auteur m’avait effleurée.
J’avais vite renoncé à cette thèse car il était trop passionné par le sujet
pour oser le tourner en ridicule. J’ai d’abord voulu l’appeler pour lui
demander son avis à propos de ce courrier étrange cependant je me suis souvenu
qu’il m’avait expliqué, un jour, que ses correspondants ufologues des quatre
coins du globe lui envoyaient d’abord une carte postale du monument le plus
célèbre à proximité de chez eux et qu’ensuite lui-même reprenait contact avec
eux en s’assurant de n’être ni écouté, ni lu. J’étais soudain très excité par
la perspective de le contacter de cette manière, un peu comme si j’intégrais un
réseau subtil de résistance.
Le cadran à quartz de la chaîne
hi-fi indiquait dix heures. J’avais raté mon cours du matin mais décidais de me
préparer pour rejoindre la fac et y déjeuner avant d’assister au cours génial
de Jean-Michel Bot de démographie prospective. Mais avant toute chose, je
souhaitais surtout me rendre dans une papeterie afin d’y acheter un cliché
kitsch de la tour Eiffel. J’ai claqué la porte de l’appartement tout en
glissant la fameuse lettre dans mon sac en bandoulière.
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